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26 juin 2025 | 17:02

Nourrir les villes africaines : le défi logistique face à l’urbanisation

D’ici 2050, les villes africaines devraient accueillir 1,4 milliard d’habitants, contre 700 millions aujourd’hui, selon l’OCDE. Dans ce contexte d’urbanisation rapide, la logistique agricole apparaît comme un maillon faible, alors que l’insécurité alimentaire touche déjà des millions de personnes. Assurer un approvisionnement alimentaire régulier, abordable et durable dans les métropoles de demain devient un impératif de souveraineté. 

Selon l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA), la demande urbaine totaliserait entre 200 et 250 milliards de dollars par an. Les producteurs locaux assurent 80 % de l’approvisionnement urbain, mais peinent à écouler leurs denrées à travers des circuits de distribution souvent désorganisés et vulnérables aux aléas logistiques. 

Si l’on en croit la FAO, un tiers des aliments produits dans le monde pour la consommation humaine n’atteint jamais le consommateur final. Dans le cas de l’Afrique, le chiffre monte jusqu’à 50 %, soit une quantité suffisante pour nourrir 300 millions de personnes.  

Des chaînes logistiques fragiles, des pertes massives

Le problème est d’abord structurel. Un rapport de Cornell University publié en 2024 souligne les déficits criants dans les réseaux de transport reliant zones rurales et centres urbains. Routes dégradées, retards de livraison, hausse des coûts de distribution sont autant de facteurs qui limitent les revenus agricoles et l’accessibilité alimentaire.  

« Dans certaines zones, les routes secondaires dégradées ou les barrières informelles ralentissent considérablement les flux. C’est pourquoi nous misons sur des solutions multimodales combinant route, rail et transport fluvial, avec des outils de traçabilité efficaces jusqu’au consommateur final .» Hugo Capdevielle I expert Agribusiness chez Africa Global Logistics (AGL)

Autre défi, les infrastructures de stockage (entrepôts frigorifiques, chambres froides ou encore installations agricoles réfrigérées) restent encore rares et peu accessibles aux acteurs agricoles.  De quoi exacerber les risques de pertes post-récolte, en raison notamment de la détérioration des aliments périssables.  Au Nigeria par exemple, 40 % des récoltes périssent avant d’atteindre le marché, représentant 2,2 milliards de dollars de pertes par an, selon des sources concordantes.  Ces fragilités sont aggravées par la faible intégration des flux alimentaires dans la planification urbaine, la domination de l’informel, l’absence d’informations de marché en temps réel et l’exclusion fréquente des petits producteurs des chaînes logistiques modernes.

Des innovations qui montrent la voie

Des projets numériques émergent pour corriger ces lacunes, mais leur portée reste limitée à certaines zones ou filières. À Kigali, le Master Plan 2050 intègre l’agriculture urbaine, les infrastructures de transport et les technologies durables pour renforcer la chaîne alimentaire.  À Nairobi, des startups comme Twiga Foods connectent directement producteurs et détaillants urbains via des plateformes numériques, réduisant les pertes post-récolte de 30 % à 4 %.  

En parallèle du secteur technologique, des acteurs logistiques comme AGL multiplient les investissements de terrain. En Afrique de l’Ouest, AGL investit dans des hubs logistiques de groupage et de stockage au plus près des zones de production. « Par exemple, en Côte d’Ivoire, à Bouaké et à Ferkessédougou, cela permet de mieux organiser l’acheminement des produits agricoles vers les marchés nationaux et régionaux », explique Hugo Capdevielle. 

En outre, l’entreprise propose des services adaptés aux besoins des producteurs. Au Tchad, elle a mis en place un service de vannage pour le sésame, afin d’en améliorer la qualité à l’export. Et au Kenya, dans le secteur du café, elle intervient sur le calibrage, le tri, le mélange des grains, le conditionnement et l’expédition selon les exigences du client.

Un impératif de gouvernance alimentaire urbaine

Si ces initiatives signalent un tournant, leur déploiement reste freiné par la fragmentation des marchés, le manque de financement à l’amorçage et l’absence de cadres réglementaires incitatifs.  

Pour qu’elles produisent un changement systémique, les États doivent jouer un rôle central. « Le développement des infrastructures logistiques repose en grande partie sur des partenariats public-privé. À Abidjan, par exemple, notre collaboration avec le Port autonome a permis de créer un véritable hub agro-exportateur. Ces modèles conjoints sont clés pour répondre aux enjeux de souveraineté alimentaire », souligne Hugo Capdevielle.  

Selon l’expert AGL, une meilleure harmonisation des normes douanières et phytosanitaires faciliterait également les échanges agricoles sur le continent. « Cela permettrait de réduire les coûts logistiques et d’ouvrir de nouveaux débouchés pour les producteurs. La ZLECAF peut être un levier puissant en ce sens », estime-t-il. 

Moderniser la logistique alimentaire n’est pas un enjeu secondaire. C’est une condition essentielle pour absorber la croissance urbaine, garantir l’accès à une alimentation de qualité, et soutenir une transformation structurelle du continent.

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